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Amitié Judéo-Chrétienne de Lyon
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Message de Pessah et Pâques 2019

Bonnes fêtes de Pessah et de Pâques !

Du 19 avril au soir au 26 avril 2019, les juifs du monde entier célèbrent la fête de Pessah, la Pâque juive.
Le 21 avril, les chrétiens catholiques et protestants célèbrent la fête de Pâques, les orthodoxes la fêtent le 28 avril.

Par Jean Massonnet, président de l’AJCF de Lyon

Chers amis,

Nous voici tout proches de la grande fête de Pessah – Pâques. Une fois de plus, les deux fêtes, juive et chrétienne (sauf pour les orthodoxes qui cette année fêtent Pâques une semaine plus tard), se chevauchent. Vendredi prochain, 19 avril au soir, les Juifs célébreront le Seder, et feront mémoire, en l’actualisant, de la libération d’Égypte, dans l’attente de la rédemption finale vers laquelle oriente cette fête. Quant aux chrétiens, ils feront mémoire de la passion et de la mort de leur Messie, Jésus de Nazareth, une commémoration orientée elle aussi vers son accomplissement final, la résurrection du Christ, qui sera célébrée dans la nuit de samedi à dimanche.

Peut-on trouver de façon plus condensée le lieu paradoxal de la rencontre et de la division entre Juifs et chrétiens ?

Et ceci non seulement dans l’occurrence actuelle de nos liturgies respectives, mais aussi dans l’événement historique tel qu’il a dû vraisemblablement se produire. Cela correspond en effet à la chronologie offerte par l’évangéliste Jean, selon lequel Jésus est condamné un 14 Nissan et expire dans l’après-midi, alors que les fidèles juifs se préparent à sacrifier dans le Temple les victimes qui seront ensuite consommées dans les maisons. La chronologie présentée dans les évangiles synoptiques (Matthieu, Marc et Luc) est en revanche totalement invraisemblable : Jésus aurait été condamné et exécuté un 15 Nissan, le premier jour de la fête qui, de plus, était un shabbat. Par leur présentation, les auteurs des évangiles synoptiques veulent montrer que le dernier repas de Jésus est un repas pascal, dont il accomplit le sens. La présentation dans l’évangile de Jean n’est pas dépourvue, elle non plus, d’un sens symbolique fort : Jésus, véritable agneau pascal, est condamné au moment ou l’on s’apprête à sacrifier dans le Temple les agneaux qui seront consommés dans la nuit. (Pour plus de détails sur le problème historique, voir l’article que j’ai rédigé en 2013.

Peut-on essayer de se représenter ce que dut être le choc ressenti par le groupe des disciples de Jésus ? Ils étaient tous juifs et ont suivi ce « rabbi » parce qu’ils avaient pressenti ou reconnu en lui le Messie d’Israël. Nous rencontrons deux d’entre eux dans le récit de Luc ; ils descendent de Jérusalem le lendemain du shabbat, et échangent sur les événements qu’ils viennent de vivre. À un inconnu (Jésus qu’ils reconnaîtront par la suite) qui les interroge, ils répondent d’un air sombre et attristé : « Tu es bien le seul à séjourner à Jérusalem qui n’ait pas appris ce qui s’y est passé ces jours-ci ! … nous espérions que ce serait lui qui délivrerait Israël » (Luc 24,18…21). Ces disciples attendaient la délivrance et la gloire d’Israël ! Or voilà que cette espérance est ruinée le jour même de la fête de la Pâque où elle est célébrée en Israël. L’aspiration à la liberté était ressentie avec une intensité redoublée lors de cette fête qui attirait les foules à Jérusalem. Parfois même cela donnait lieu à des émeutes selon l’historien Flavius Josèphe (Guerre II 10, 224, 280). Mais surtout la mise en pratique des commandements bibliques (manducation de l’agneau en famille, consommation du pain azyme, les matsôth, accompagnée des merorîm, les « herbes amères ») rappelait de façon très concrète la première libération et ne pouvait qu’orienter vers l’espérance de la libération future aux temps messianiques. Le rite du Seder tel que nous le connaissons aujourd’hui ne fut élaboré qu’après la ruine du Temple en l’an 70. Mais ses longs et riches développement se devaient d’être une explicitation de ce qui pouvait être alors ressenti et vécu dans les maisons de Jérusalem où l’on consommait la victime pascale à l’époque du second Temple.

Or, – si nous en revenons à la chronologie de l’Évangile de Jean – les premiers disciples de Jésus, choqués à l’extrême par la mort ignominieuse de celui en qui ils voyaient le Messie d’Israël, sont invités à célébrer la libération d’Israël par la manducation d’agneau pascal ! Selon l’évangéliste Marc (14,12), la salle était déjà prête ! Nous ne savons rien de ce que firent les disciples le soir de ce jour, sauf qu’ils « lâchèrent » leur maître à l’exception du « disciple bien-aimé » et de quelques femmes, dont la mère de Jésus. Mais nous pouvons nous représenter le paradoxe énorme dans lequel ils devaient être écartelés : alors qu’ils éprouvaient la pire des désillusions de leur existence, l’occurrence liturgique les invite à célébrer malgré tout, en communion avec leur peuple, la délivrance passée d’Israël dans l’attente de sa libération future, définitive.

Je garde en mémoire une causerie de Yechayahou Leibovitz à des étudiants, sur le thème de la prière qu’il ressaisissait en tant qu’obligation, hôva. Et de donner l’exemple d’un Juif qui, au jour le plus beau de sa vie, alors qu’il vient d’épouser la femme qu’il aime, que ses affaires et sa santé sont au mieux, que ses relations sont riches et variées et son avenir lumineux, ce jour-là, il va à la synagogue et prononce les bénédictions : « Béni es-tu Éternel… ». Quelques décennies plus tard, tout s’est écroulé, décès de son épouse, faillite, détérioration de sa santé et appauvrissement de ses relations : de nouveau, il va à la synagogue et prononce les mêmes bénédictions : « Béni es-tu Éternel… ».
Gratuité absolue et inconditionnalité de la prière : à vingt siècles de distance, n’est-ce pas cet absolu de la confiance qui s’imposait aux premiers disciples ce jour de ténèbres ? Encore une fois, il ne s’agit pas de rêver sur ce qu’a dû être leur réaction dont nous ne savons rien, mais de ressaisir le défi auquel ils furent affrontés pendant quelques heures, cet appel à ne pas lâcher la louange en union à la prière de leur peuple.

Cette situation ne dura que trois jours pour les premiers chrétiens. L’expérience qu’ils firent du Ressuscité revivifia leur espérance d’une rédemption qu’ils attendaient proche. Juifs et chrétiens, nous sommes aujourd’hui tournés, chaque confession selon mode propre, vers la rédemption finale. « Nos voies, bien qu’irréductiblement singulières, sont complémentaires et convergentes » ont déclaré en 2015 les auteurs de la « Déclaration pour le Jubilé de fraternité à venir ». Les conditions que nous connaissons aujourd’hui peuvent nous inquiéter : populisme, durcissements identitaires, antisémitisme renaissant… Mais nous sommes dépositaires d’une parole vivante qui ne peut que l’emporter et briller au sein des ténèbres. L’expérience que firent des premiers chrétiens de la mort de leur maître peut être un exemple pour leurs disciples d’une « espérance contre toute espérance » (St Paul en parlant d’Abraham ; Romains 4,18). Les pires ténèbres qui se sont étendues sur le peuple juif n’ont pas eu raison de la Puissance de vie qui l’habite.

L’appel des auteurs de la « Déclaration pour le Jubilé de fraternité à venir » est toujours d’actualité : « N’avons-nous pas, en effet, pour espérance suprême que l’histoire des hommes ait un même horizon, celui de la fraternité universelle d’une humanité rassemblée autour du Dieu Un et Unique ? Nous devons y œuvrer ensemble, plus que jamais, main dans la main. »

Jean Massonnet , 16 avril 2019

Pour en savoir plus sur Pessah :
- Anne-Marie Dreyfus : Pessah... et au-delà
- Site Akadem
- site Massorti.com

Pour en savoir plus sur Pâques :
- Eglise catholique